Interview croisée de deux candidats Saint-Egrèvois appartenant à deux listes aux municipales, malades du Covid-19

[Publié le 15 avril 2020]

Parce que nous devons rester vigilants et connaissons deux personnes candidates à l’élection municipale de St-Égrève atteintes du Covid-19, nous avons voulu vous faire partager leurs témoignages. Sylvie Guinand (45 ans) de la liste EPD et Fabien Cazenave (48 ans) de la liste Proximité, ont bien voulu se livrer à cette interview croisée. Nous les remercions du fond du cœur pour avoir joué le jeu et leur souhaitons surtout le meilleur rétablissement possible. 

EPD Comment allez-vous ?

SG : « Mieux maintenant, mais encore fatiguée quand même, le médecin m’a dit qu’il fallait bien trois semaines pour récupérer après les derniers symptômes »

FC : « Pas trop mal même si j’ai encore des séquelles et que je ne peux toujours pas courir. Je suis très vite essoufflé, ma capacité de concentration n’est pas encore au niveau d’avant la maladie. Clairement se pose, pour beaucoup de patients, la question de récupérer leurs facultés physiques et psychiques à 100% de ce qu’elles étaient avant les premiers symptômes »


Comment pensez-vous avoir été contaminé ?

SG : «  A partir du début du confinement, je suis restée comme tout le monde chez moi. Je ne me suis pas vraiment protégée dans le sens où je n’ai eu que très peu d’interactions avec d’autres personnes, autres que ma fille, qui vit avec moi. J’étais en télétravail et donc je ne croisais personne. L’une des hypothèses les plus probables, mais sans certitude, est d’avoir contracté le virus en allant faire les courses. Au départ, je les faisais sans masque, comme la majorité des gens, et parce que je n’en avais pas. Lors de ces moments, j’ai le souvenir d’avoir dû demander à plusieurs personnes de respecter un minimum de distance entre nous. »

FC : « Je m’étais déjà confiné après le 1er tour car j’avais des inquiétudes sérieuses sur la possibilité d’être infecté, ayant été le dimanche 15 mars toute la journée ou presque, au bureau de vote de La Monta, en tant qu’assesseur. Je me sentais plus exposé que le reste de la population. Je faisais gaffe à tout pendant l’élection pour les votants, à bien désinfecter le matériel de bureau de vote etc. »


Quels ont été les 1ers symptômes puis les suivants ?

SG : « Les 1ers symptômes ont commencé vers le 14 avril. J’ai d’abord eu des vomissements, des maux de tête, je respirais aussi moins bien mais étant asthmatique, je n’y ai d’abord pas vraiment prêté attention. A partir du 20 avril, les maux de tête et la fièvre se sont accrus fortement, de même que les difficultés respiratoires. Ayant eu une pneumopathie en 2003, ce symptôme ne m’a pas non plus beaucoup alerté même si oui, j’étais vraiment très fatiguée. J’ai été sous doliprane pendant toute cette période. Ma situation a commencé à vraiment s’améliorer à partir du 6 mai, juste à temps pour fêter mon anniversaire le lendemain. [rire]

Les autres symptômes, telles que les courbatures de la tête au pied, ont aussi fini par disparaître voilà seulement quelques jours. J’avais l’impression d’être un hérisson avec ces épines dressées sur son corps, sauf que là, les épines s’enfonçaient plutôt dans tout mon corps, tout était sensible, comme quand on pique avec des aiguilles. J’ai eu des sacrées courbatures ! Un jour, quand même, j’ai été très inquiète pour mes poumons. Je respirais vraiment moins bien, mais de manière générale, je ne m’inquiète jamais très vite. Demain je retourne chez le médecin et je vais faire un test de respiration et un autre pour savoir si je suis enfin négative au Covid-19. Ça mettrait fin à ma quarantaine, mais de toute façon, encore aujourd’hui, je n’ai pas beaucoup la force de sortir, j’espère en tous les cas que le test sera quand même négatif ! »

FC : « Les 1ers symptômes sont apparus le 21 mars avec au départ une perte de l’odorat, une légère toux et fièvre … rien de très significatif pour moi. Une semaine après, ma situation s’est très vite dégradée avec une très grosse fièvre, une énorme fatigue, j’étais à mi-chemin entre une période d’éveil et de sommeil. A J+10 des premiers symptômes, c’est simple, je n’arrivais plus vraiment à trouver la force et l’envie de manger, je ne grignotais que quelques biscuits. A J+12, l’ambulance est venue me chercher quand après une téléconsultation, je n’étais plus en capacité de bloquer ma respiration plus de 3 secondes ! En fait, c’est fou, mais tu t’habitues à respirer de moins en moins bien, cela est progressif et quand tu atteins la limite de tes capacités vitales, tu te rends compte que t’es dans la m… Moi qui suis sportif, ça m’a fait penser à la natation après une très grosse distance parcourue où tu es à la limite de te noyer et que tu es au minimum de ta marge de manœuvre, tu as, à peine, de quoi respirer, tu tousses…et tu n’as pas intérêt à ce moment-là, à paniquer !

J’ai passé la première nuit aux urgences sur un brancard, le temps de s’assurer que le test Covid-19 était bien positif, pour ensuite intégrer l’unité Covid du CHU. Je suis resté à l’hôpital 10 jours. Pendant toute cette période, j’étais sous oxygène, avec des relevés de mon état tous les 4 heures.

J’ai été volontaire pour intégrer le programme de recherche Discovery qui consiste à tester des molécules susceptibles d’avoir des effets positifs sur ce virus. Au bout de 3 ou 4 jours j’allais déjà mieux, même si j’avais encore de la fièvre et des nausées. Je n’étais plus en grande détresse respiratoire. Mon prochain RDV pour vérifier ma capacité respiratoire et détecter d’éventuelles séquelles de mes poumons est prévu le 3 août 2020. Autant dire que beaucoup de personnes atteintes du Covid-19 ont toujours une insuffisance respiratoire et que la régénération complète de nos poumons ne semble pas être à 100% acquise pour l’instant. »


Avez-vous pu vous isoler pour éviter de contaminer vos proches ?

SG : « On n’est sûr de rien, je sors tout juste de cette maladie, ma fille n’a pas été testée car il n’y avait pas de tests encore disponibles pour les membres de familles vivant avec une personne malade du Covid, mais dans la mesure du possible, j’ai fait attention.»

FC : « J’ai fait super gaffe à tout car je vis avec plusieurs personnes à la maison et j’avais aussi comme angoisse que ma maman l’attrape car elle a 72 ans, elle est à risque et vit en mitoyenneté de mon domicile. Par conséquent, je touchais uniquement les objets et emballages, le linge ou les ustensiles de cuisine pour les mettre ensuite à la poubelle, à la machine à laver ou au lave-vaisselle. Je faisais extrêmement attention à me laver les mains et à ce que je touchais, Je ne prenais pas de vaisselle propre moi-même. Les seuls objets que je m’autorisais à manipuler, c’était ma guitare et mon PC. C’est une habitude à prendre et pourtant, jusqu’à présent, je n’étais pas un maniaque au quotidien. »


Pourquoi n’est-ce pas une maladie comme les autres ?

SG : « Au départ, je considérais que c’était un peu comme attraper la grippe, mais ensuite il y a trop d’incertitudes et d’inconnues : on ne sait pas combien de temps ça va durer, comment cela va évoluer. On ne sait pas si on peut contracter de nouveau ce virus lors d’une deuxième vague ou si on est vraiment immunisé. Franchement, une fois que l’on passe par cette expérience, on n’a pas envie du tout d’être de nouveau testé positif, surtout après l’état de fatigue dans lequel on se trouve actuellement. »

FC : « Non y a plein de trucs qui nous indiquent que ce n’est pas une maladie comme les autres. D’abord, c’est très contagieux. Ensuite, la vitesse à laquelle ton état peut se dégrader et tes symptômes évoluer, est extrêmement rapide, tu passes d’une légère fièvre au fait d’être cloué au lit et pour longtemps… Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi long à récupérer. Monter un escalier est toujours une épreuve, tu le fais doucement.

Un autre aspect est la perte de goût et d’odorat. Je suis sorti de l’hôpital le 10 avril et je n’ai pas encore retrouvé toutes mes facultés gustatives et olfactives. C’est vraiment long à revenir mais petit à petit, ça revient. Je galère par exemple avec le vin entre du Bordeaux, du Bourgogne ou du Côte du Rhône [rire]. Tout cela nécessite une véritable rééducation. Hier on a bu un Château Neuf du Pape avec un client, il a fallu que je prenne un deuxième verre pour retrouver un peu le goût ! »


Le système de soins a-t-il répondu à vos attentes ? Comment a été la prise en charge ?

SG : « Je suis restée chez moi, j’ai attendu que ça passe et quand la toux et la fièvre se sont accélérées, j’ai appelé le numéro vert 0800 30 800. J’ai eu un échange avec un médecin qui m’a confirmé que j’avais sûrement le Covid-19 et qu’il fallait que je continue comme cela, c’est-à-dire rester chez moi et appeler le 15 au cas où les symptômes évoluaient négativement. J’ai aussi été en contact avec mon médecin généraliste que j’ai vu physiquement hier. »

FC : « La prise en charge a été au top. J’ai fait le 15, puis après, j’ai été suivi tous les jours par téléphone par Covid-Adom. Ils t’appellent tous les jours pour surveiller tes symptômes et prendre de tes nouvelles, surtout pendant la période critique où ton état peut évoluer dans le mauvais sens (entre le 7ème et 10ème jours). A l’hôpital, j’ai eu une très bonne prise en charge aussi. »


Qu’avez-vous appris sur vous en attrapant ce virus ? 

SG : « Très personnellement, ça apprend l’essentiel : tu penses à ta famille, à tes proches, à la d’où tu viens, à des trucs profonds. J’ai une grande envie de me ressourcer dans ma région d’origine, la plus belle, Le Champsaur dans les Hautes-Alpes.»

FC : « Tu relativises l’importance de beaucoup de choses, comme être plus attentif à ses voisins, à les aider, l’entraide prend tout son sens !

Comment allez-vous aujourd’hui ? Sur une échelle  de 1 à 10, à combien estimez-vous être par rapport à avant la maladie ?

SG : « 5 ou 6 ! Mais, il  y a encore quelques jours, j’aurai répondu 0,5 car on se sent vidé. »

FC : « 6 ! Ou un gros mi-temps ! »

Un conseil ?

SG : « Il faut mettre son masque et que tout le monde puisse très vite en disposer, c’est la priorité ! »

FC : « Il faut rester rigoureux sur l’hygiène, notamment en lavant régulièrement ses mains, d’abord pour les autres, c’est un effort collectif important. Ça me fait toujours bizarre que des gens de gauche ne fassent pas ces efforts individuels alors qu’ils servent à tous. »

Est-ce que ça vous a fait changer d’opinions politiques ?

SG : « [Rire] Ça les a renforcés plutôt ! D’ailleurs, j’ai quand même eu le temps de visionner des rediffusions sur Arte, et franchement, je vous conseille le téléfilm sur Marx… -:) Sinon, sur l’aspect politique et sur notre système économique, pour « les jours d’après », je pense que beaucoup est à reconstruire, les richesses qui sont créées doivent aller en direction du service public et donc par exemple de l’hôpital. Comme  à chaque fois en période de crise, les pauvres sont les plus touchés, mais ici en France, notre système assurantiel collectif et de redistribution (indemnités chômage, protection sociale..) ne sont pas si mauvais que cela, ils sont encore de vrais amortisseurs et doivent donc être renforcés plutôt que détricotés. »

FC : « Non pas vraiment ! Je suis juste plus pressé qu’avant de voir plus de projets avancer. Par exemple, sur le vélo : avant on devait s’excuser de devoir prendre un peu plus de place sur l’espace public pour se déplacer à vélo ! Le curseur a bougé avec cette crise, on peut faire avancer rapidement beaucoup plus de choses, notamment en matière de mobilité propre. On se rend donc compte qu’on peut faire de vrais efforts collectifs, ça fait partie des bonnes nouvelles. »

Interview téléphonique réalisée par L. Amadieu le 14 mai 2020