- Où va notre modèle économique actuel ?
La crise sanitaire que nous traversons nous dirige indubitablement tout droit vers une crise économique majeure et planétaire. L’ennemi invisible, si petit soit-il, qu’est ce micro-organisme vient de réussir à confiner plus de 3 milliards de personnes dans le monde et à stopper une grande partie de notre économie. Dans les prochains mois, des conséquences désastreuses pour le monde de l’emploi et de l’entreprenariat vont émerger, chômage de masse, disparition de petites et moyennes entreprises essentielles au fonctionnement de notre système socio-économique, si imparfait soit-il. La question fondamentale est de savoir si cette crise aurait pu être évitée et si un autre modèle de société nous en aurait préservé ou s’il s’avère urgent d’en inventer un autre ?
Durant des décennies, nous avons vu se développer un modèle économique basé fondamentalement sur la compétition entre les Etats, les entreprises et les hommes. Aujourd’hui, les conséquences de ce néolibéralisme sont multiples : l’enrichissement démesuré d’une minorité au détriment du plus grand nombre (les 1% les plus riches gagnent plus que 50% des habitants les plus pauvres), la destruction de notre biosphère, le développement d’une société toujours plus individualiste et des remises en cause permanentes des acquis sociaux des salariés durement obtenus par nos ainés.
Prenons un exemple simple et d’actualité : au moment même où le premier Ministre proposait à l’Assemblée nationale son plan de déconfinement, la question de la fabrication des matériels de protection à destination du grand public posait question.
En France, en ce début 2020, moins de 60 sites industriels pharmaceutiques sont en capacité de produire les médicaments indispensables aux services de réanimation et moins de 30 entreprises en Auvergne Rhône-Alpes ont pu transformer une partie de leur production pour répondre à la commande des 20 millions de masques pour les habitants de la région.
Depuis plus de trente ans, les firmes pharmaceutiques et leurs sous-traitants ont préféré délocaliser leur production dans des pays en voie de développement (principalement en Inde et en Chine) pour bénéficier d’une main d’œuvre meilleur marché dans un monde fortement concurrentiel et où une partie des bénéfices doit remonter aux actionnaires.
Ce modèle économique mondialisé doit nécessairement être revisité pour faire de nos territoires, des modèles de résilience face à des risques majeurs tels que le risque sanitaire ou climatique.
- Comment reprendre le pouvoir sur le modèle économique actuel ?
Devenons nous continuer à baisser les bras et à nous résigner ou au contraire, relever enfin le défi de transformer notre modèle socio-économique actuel ? Que dirons-nous à nos enfants et petits-enfants ? Que nous avions connaissance du désastre environnemental et sociétal annoncé mais que, par manque de motivation ou pour conserver notre petit confort de court terme, nous avons fait le choix de ne pas agir ? Car il est certain que nous pouvons faire autrement, rapidement et ensemble.
Nous sommes tous acteurs et partie prenante des modes de production et de consommation qui régissent notre mode de vie. Nous avons le pouvoir de faire évoluer les choses, et ce pouvoir se traduit par notre façon de consommer les biens matériels et immatériels. Nous devons tous devenir des consommateurs raisonnables et raisonnés. En clair, nous devons muter en « consomm-acteurs » intelligents et responsables. Pour avoir un effet de masse et peser sur le monde de la finance et des lobbyings industriels, il faudra rechercher des changements de comportement par de l’accompagnement et de la pédagogie, mais aussi aider les ménages les plus démunis par une meilleure redistribution des richesses.
La crise sanitaire actuelle a pour effet de nous obliger à repenser les solidarités au sein des territoires et de générer de nouvelles formes de coopérations économiques (par exemple l’utilisation des médias pour rapprocher les consommateurs des producteurs, des commerçants et des artisans locaux.
Avec cette crise sanitaire, Il y a eu clairement un regain d’engouement pour les produits locaux, notamment alimentaires, vendus sur les marchés. En raison notamment du fait que les gestes barrière sont plus difficilement applicables dans des espaces fermés, comme les grandes surfaces qui concentrent plus de personnes et de produits, donc potentiellement plus de risques de transmission du virus. Et surtout, les consommateurs recherchent la qualité et la traçabilité des produits vendus.
L’acte d’achat est donc un vecteur qui permet de faire changer notre modèle économique de production, de filières et de distribution. L’idée de consommer moins, mais de meilleure qualité et si possible en circuit court est la solution à beaucoup de nos problèmes actuels (meilleure connaissance de l’origine et de la traçabilité des matières premières, process de fabrication préservant mieux l’environnement et plus économe en énergie, plus grand respect des droits des travailleurs, coopérations plus importantes entre territoires voisins et entreprises locales). L’augmentation de plus de 27% de la consommation de produits issus de circuit court durant cette crise inédite, prouve qu’il est tout à fait réalisable de changer de direction.
A côté de l’acte d’acheter, le pouvoir politique peut aussi agir sur la manière de produire en développant par exemple l’éco-conditionnalité des aides publiques ou des règles pour produire propre ou anticiper le recyclage de nos objets du quotidien grâce à l’éco-conception etc…
Une question se pose à nous : ce regain pour les circuits courts est-il une réaction temporaire à la crise, ou est-ce l’amorce d’un phénomène de fond, qu’il s’agira de d’accompagner et d’amplifier ?
Le modèle envisagé et partagé par de plus en plus de citoyens, d’économistes, d’entreprises et de politiciens, porte un nom : l’économie résiliente !
Vers une économie plus résiliente ?
Pendant de trop nombreuses années, les territoires se sont livrés à une compétition effrénée pour attirer toujours plus d’entreprises. Pour ce faire, il a fallu développer des infrastructures de plus en plus conséquentes (zones d’activités économiques de plusieurs dizaines d’hectares prélevées sur des terres agricoles). Les créations de ces zones ont poussé les collectivités à s’endetter sur des dizaines d’années. Ce phénomène a eu pour effet une forte spécialisation des activités et la concentration des industries et activités tertiaires à haute valeur ajoutée au sein des métropoles, quand les territoires périurbains et ruraux ont souvent hérité des activités industrielles secondaires et présentielles à plus faible valeur ajoutée. Ce modèle de spécialisation des activités par territoire (exemple Grenoble – micro-électronique – recherche – nanotechnologie) a poussé bon nombre d’autres communautés de communes périphériques à orienter leur stratégie économique dans la captation des revenus des grandes métropoles et moins dans la production de fortes valeurs ajoutées endogènes.
Il est temps de repenser les modèles de développement économique au sein de nos territoires (certains ont commencé à le faire, d’autres sont encore dans l’attentisme). Nous devons sortir de cette logique de « gestionnaire d’espaces » pour se diriger vers un modèle de « gestionnaire de réseaux ». Mais il s’agit également de sortir d’une gestion administrative trop verticale (Etat/Région/Intercommunalité/commune/partenaires territoriaux), pour tendre vers une gouvernance partagée, pour une meilleure intelligence collective.
L’actuelle crise du Covid-19 doit obliger les territoires à moins raisonner en termes de croissance économique qu’en termes de capacité à s’organiser en réseaux et à se connecter aux territoires voisins. Les communes ou groupements de communes ont travaillé dans leur coin en espérant obtenir des opportunités offertes par la mondialisation. Mais de plus en plus, les perspectives de développement sont réduites et les revenus bloqués, ralentissant les mobilités professionnelles et l’ascenseur social et générant de plus fortes inégalités.
Pour inverser la tendance, il faut dorénavant privilégier la notion de production locale avec une distribution au plus près du « consomm-acteur ». Pour ce faire, il faut repenser l’ensemble des chaines de valeur en intégrant, à tous les stades, les différents acteurs socio-économiques et développer un écosystème capable d’amortir les ondes de chocs liées à la mondialisation.
Sur la commune de Saint Egrève et au sein de la Métropole, il est tout à fait opportun de travailler en synergie avec l’ensemble des territoires voisins, ayant par exemple suffisamment de terres cultivables pour nourrir les métropolitains. Repositionner la commune, comme élément central de proximité, capable de porter des initiatives locales, d’assurer la bonne gestion des biens communs et, avec la métropole, de garantir une juste redistribution des richesses générées. L’intercommunalité de son côté doit avoir comme objectif de lancer une véritable coopération inter-territoriale, en ayant au préalable identifié dans son écosystème ses forces et ses faiblesses, afin de co-construire un modèle résilient avec les intercommunalités voisines.
Le numérique occupera une place centrale dans le développement de cet écosystème résilient, car il permet de rapprocher aisément les potentiels clients, des producteurs locaux. L’émergence des différentes plateformes pour soutenir nos agriculteurs locaux et nos commerces de centre-ville sont des exemples parlants de ce qui est réalisable avec les outils numériques actuels. Pour augmenter sensiblement, dans le cadre d’une gestion en réseaux, les interactions entre les différents acteurs, la digitalisation de l’économie va vraisemblablement transformer profondément nos organisations territoriales et par voie de conséquence, l’organisation actuelle de notre modèle économique et social.