L’état d’urgence tend à devenir permanent

[Publié le 08 mai 2020]

Que se passera-t-il après ? Il faudrait pouvoir penser que le virus disparaîtra subitement comme il est apparu. Or il est probable que ce ne sera pas le cas. Si le virus perdure et reste présent dans l’environnement, il nous faudra apprendre à vivre avec. 

Des voix s’élèvent pour identifier les carences de la société révélées par la pandémie et proposer des

solutions : la voie ouverte à de nouvelles solidarités, un système de santé soutenu par l’Etat garant d’une vraie reconnaissance du personnel soignant, le redéploiement du service public, la relocalisation du secteur industriel dans des domaines stratégiques comme les médicaments, les tests, la fabrication de masques, une agriculture saine et locale, l’encouragement des déplacements en vélo, une meilleure prise en compte de la dépendance et la transformation du modèle actuel des EPHAD.

Les jours d’après seront-ils les jours du télétravail ? La SNCF l’encourage, pour pouvoir assurer la distanciation entre les voyageurs dans ses rames et demande aux employeurs des plages horaires étendues pour limiter l’affluence aux heures de pointe. 

Le personnel soignant sera-t-il entendu ? Il dénonçait depuis des années le sous-effectif, les budgets en baisse, les suppressions de lits hospitaliers (15% des lits ont été supprimés durant ces 15 dernières années), la tarification à l’acte, le management de la performance et l’hôpital géré comme une entreprise avec des objectifs de réduction de coûts. 

L’état d’urgence sanitaire est, peut-être, un mal pour un bien. Dans tous les cas, il est de notre devoir de prendre du recul et d’interroger ses fondements et sa légitimité. Il est défini par « un régime de crise, dont le caractère exceptionnel justifie la liberté donnée à l’administration (préfets et ministre de l’Intérieur) de prendre des mesures susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des individus ». Cet état provisoire du droit en France autorise donc la mise en place tout un ensemble de mesures d’exception. Par exemple, la police et la gendarmerie peuvent verbaliser toutes les nouvelles infractions aux manquements à la loi d’urgence sanitaire. Avec le prolongement de deux mois supplémentaires de l’état d’urgence et le début de la période de déconfinement qui s’amorce, la possibilité est désormais ouverte aux agents de sécurité assermentés dans les transports en commun d’exercer le pouvoir de verbalisation pour une infraction, comme l’absence de masque. L’extension des pouvoirs de verbalisation à toute une série d’agents est inédite. De la même manière, en un temps record, il est aujourd’hui possible de créer un fichier des personnes contaminées, chose impossible dans le droit français « ordinaire » et tout à fait inimaginable il y a seulement quelques mois. Enfin, en quelques jours, le droit du travail a connu beaucoup d’entorses sous couvert de devoir répondre à la situation de crise.

A l’état d’urgence sécuritaire mis en place après les attentats et qui a duré presque deux ans, succède maintenant l’état d’urgence sanitaire…

Des mesures d’exception qui devaient rester provisoires rentrent insidieusement dans le droit commun et pourraient nous pousser vers une démocratie illibérale, c’est-à-dire une démocratie où les libertés fondamentales passent derrière le soi-disant intérêt de la Nation Ces démocraties illibérales se développent de plus en plus à travers le monde, notamment en Europe de l’Est.

Doit-on ainsi brader systématiquement, comme cela s’est pratiqué ces dernières années, les libertés individuelles contre un niveau de sécurité (non garanti) plus élevé ?

Dans sa dernière allocution le Président parle de jours heureux. Le programme de gouvernement

proposé par le Conseil National de la Résistance était intitulé… »Les jours heureux ».

Ceux d’après la victoire de 1945. Ce programme définissait un nouveau contrat social au sortir de la guerre avec la création de grandes sociétés publiques, un secteur public permettant de garantir les besoins fondamentaux au plus grand nombre, de nouveaux droits pour les travailleurs, un système de retraite par répartition et la création de la sécurité sociale. Il a tenu quatre décennies puis a été régulièrement attaqué par les gouvernements qui se sont succédés.