Faire la classe à la maison, facile ou pas facile ?

[Publié le 24 avril 2020]

Jeudi 12 mars 2020, 20h. Alors que le collectif Ensemble pour demain débute son meeting de fin de campagne dans le cadre des élections municipales, le Président de la République annonce la fermeture des crèches et de tous les établissements scolaires. Cette mesure prise précipitamment pour essayer d’endiguer la propagation du coronavirus laisse beaucoup de parents sidérés : comment occuper les enfants pendant ce confinement ? Comment allier activité professionnelle et école à la maison ? Comment ne pas prendre de retard dans les apprentissages scolaires ?

Sans préparation, les professeurs doivent, dans des délais records, s’adapter à une nouvelle façon de travailler pour accompagner leurs élèves à distance. Certains, qui ont une utilisation occasionnelle des outils numériques, prennent en main des applications complexes de visioconférence pour permettre de garder le contact avec les élèves et pour les accompagner afin de poursuivre des apprentissages à distance. Les enseignants se mettent en réseau pour échanger des modalités d’enseignement innovantes pour assurer cette continuité pédagogique. Beaucoup d’entre eux doivent aussi concilier télétravail et la garde de leurs enfants. Grace au travail de ces professionnels de l’Education Nationale, ils maintiennent un accrochage scolaire pour la plupart des élèves et renforcent autant que possible le lien avec les familles. (Les parents se rendent alors compte de la complexité du métier d’enseignant et de la qualité de leur expertise.)

Pour les parents, c’est aussi une situation inédite qui nécessite de revoir à 100% l’organisation familiale entre travail et suivi des enfants.

Pour les enfants et les jeunes scolarisés, c’est au début de l’annonce du 12 mars « un cri de joie » pour beaucoup d’entre eux qui imaginaient déjà être en vacances prolongées et la réalité au fil des jours d’une continuité éducative scolaire bien réelle, pas toujours optimale mais tout de même assurée.

Nous avons demandé à ces principaux acteurs de l’école à la maison de témoigner de leur quotidien. Paroles de Saint-Egrèvois parents :

  • « Nous avons 5 enfants, j’ai cessé mon activité professionnelle pour les garder, pendant que mon épouse télétravaille. Elle doit articuler des temps de travail pour réunir les personnels en visioconférence, prendre des décisions, ajuster les actions en cours… Dans le même temps, il est important qu’elle puisse prévoir des créneaux pour être pleinement disponible pour les enfants pour les rassurer, les écouter et les occuper. La gestion des tâches du quotidien, de l’école à la maison et du télétravail n’est pas toujours aisée. En ce qui me concerne je suis plus particulièrement « l’école à la maison » qui s’organise au fur et à mesure des semaines… Dans la matinée, un rythme se met en en place avec un temps de classe, une récréation dans le jardin puis de nouveau du travail scolaire. Nos enfants s’engagent plus ou moins facilement dans le travail en fonction de leur âge, mais chacun finit par s’y mettre sérieusement. Du travail est régulièrement envoyé par les enseignants et les enfants utilisent également les documents numériques disponibles sur le site du CNED. Pour nous, parents, ce n’est pas si simple de s’improviser enseignants, pédagogues. Quelques difficultés techniques viennent aussi émailler ces matinées : il nous faut parfois partager le matériel numérique lorsqu’il y a deux audioconférences de professeurs en même temps, je dois souvent partir à la recherche du travail à faire sur la plateforme numérique Pronote du collège, il faut anticiper pour imprimer les fiches à l’avance…Les relations sociales avec les copains manquent à toute la famille mais globalement nos enfants apprécient de travailler à la maison. Un rythme s’est progressivement construit et chacun a trouvé sa place. Les après-midis sont plus calmes. Les enfants sont ravis de passer des moments agréables avec nous pour cuisiner, bricoler, jardiner ou visionner des films. Les plus grands se remettent au travail pour compléter, approfondir une notion pendant que les petits courent et s’amusent dans le jardin. A 20h, nous avons pris l’habitude d’applaudir tout le personnel mobilisé pour cette crise sanitaire. Les enfants jouent de la musique, des liens se   créent avec les voisins de la rue d’en face. Puis chacun va se coucher de manière échelonnée. »
  • « Je dois continuer à travailler dans le bâtiment malgré le confinement. Ma femme est seule toute la journée avec nos quatre enfants. Elle est originaire d’un pays étranger et ne parle pas bien le français. Elle fait de son mieux pour expliquer le travail scolaire à nos enfants car elle est consciente des enjeux pour eux, mais certaines notions sont difficiles et nos enfants risquent de décrocher malgré le soutien de leurs professeurs. Ma femme utilise son smartphone pour les devoirs des plus petits mais la lecture des fiches envoyées par l’école n’est pas aisée sur un téléphone. L’ordinateur de la maison est monopolisé par les plus grands pour accéder aux devoirs donnés par le collège, mais notre forfait téléphonique ne nous permet pas toujours de nous connecter à la classe virtuelle pour avoir les explications des professeurs. »

Paroles de Saint-Egrèvois enfants :

  • « En ce moment nous pouvons passer plus de temps avec nos parents, mais pendant les semaines passées nous n’étions pas en vacances, même si nous avons pu nous lever plus tard que d’habitude ! Nous sommes en CM2 et en 6e. Nous travaillons le matin jusqu’à midi, et l’après-midi nous pouvons continuer à apprendre ou faire d’autres activités, comme cuisiner, dessiner, lire, jouer à la console, sortir dans le jardin pour prendre l’air… Mais de temps en temps nous nous ennuyons car nous ne pouvons plus voir nos copines. C’est plus compliqué de travailler seule qu’en classe avec nos professeurs parce que nous ne pouvons pas travailler en groupe et nous ne pouvons pas poser de questions aux    professeurs. Nos parents ne nous expliquent pas forcément comme à l’école. Nous devons         apprendre à nous débrouiller toutes seules pour nous organiser, pour classer nos cours. Des   professeurs nous appellent pour prendre des nouvelles et ils organisent des leçons en vidéo. Les exercices sont plus faciles à faire quand nous avons du temps. Au début du confinement, nous avons eu du mal à trouver notre rythme pour travailler, mais nous nous sommes adaptées. Nous avons pris des habitudes pendant cette période, il va falloir bientôt les modifier pour retourner à l’école et au collège. »
  • «  Je suis en 5ème au collège Chartreuse. Les profs donnent plus de contenu de travail qu’à l’école parce que pour une heure de cours normale, il y’a vraiment une heure de travail. En classe, on fait peut-être seulement 30 minutes de vrai travail et le reste du temps, on pose des questions au professeur qui y répond. Sinon je trouve l’école à la maison bien car on est chez soi, même si maintenant, après plus d’un mois de confinement, je préfèrerais quand même retourner à l’école pour voir mes copains. Enfin, je préfère par contre manger à la maison car les plats sont bien meilleurs qu’à la cantine !

Paroles de Saint-Egrèvois professeur des écoles :

  • « Pour ma part, j’ai trouvé le télé travail intéressant, instructif. Pour certains enfants dont les parents sont équipés en informatique et désireux de  suivre la scolarité de leurs enfants, le confinement est plutôt positif.  On a pu leur proposer des activités  “moins scolaires” : des énigmes, des défis, des exposés, des écoutes musicales, des arts visuels… En tant qu’enseignant, on avait plus de temps pour nos recherches. Certains ont vraiment joué le jeu et on fait preuve d’un travail sérieux. Après, honnêtement, les élèves en difficulté ont eu du mal à suivre le rythme des activités et n’étaient pas très présents : peu de retours, niveau communication et travail. Je pense que le télé travail renforce les inégalités sociales. »

Le 13 avril, le président s’adresse de nouveau aux français et annonce une deuxième phase du confinement : à partir du 11 mai, les établissements scolaires pourront ouvrir progressivement en respectant des mesures sanitaires strictes.

Au regard des inégalités provoquées par ce confinement dans les apprentissages des élèves, il nous paraît absolument nécessaire que les services de la ville, en lien avec l’Education Nationale, puissent travailler rapidement à l’accueil du plus grand nombre d’enfants en gardant une distanciation sociale. Cet accueil devra se faire dans les écoles, mais aussi peut-être dans des gymnases, des centres de loisir, des bibliothèques pour leur proposer des activités de qualité. Il faudra accueillir en priorité les enfants les plus éloignés de l’école et ne disposant pas des outils numériques nécessaires à la continuité pédagogique., Aux dernières nouvelles, c’est le flou artistique concernant ce point car, d’un côté, l’Elysée souhaite que la priorité aille aux enfants « les moins autonomes et les plus en difficultés », de l’autre,  le ministre de l’Education Nationale a affirmé que le retour à l’école ne serait pas obligatoire et que les parents pourront décider ou non d’y envoyer leurs enfants. Par ailleurs, dans l’hypothèse où ce seront les élèves en grande difficulté qui reprendraient le chemin de l’école, pour éviter la concentration d’élèves en rupture dans les classes, il faudra tout de même veiller à une certaine mixité sociale.

Quoiqu’il en soit, pour beaucoup de parents, la reprise du travail sera nécessaire et la garde des enfants indispensable !

Nous ne pouvons pas attendre que les directives viennent d’en haut. En effet, le ministre de l’Education Nationale a expliqué que les collectivités territoriales bénéficieraient « d’une grande souplesse » pour organiser l’accueil des enfants. Il est maintenant nécessaire d’anticiper, d’envisager différents scénarios, de mobiliser toutes les énergies pour réussir cette deuxième phase dans l’intérêt du plus grand nombre. Nous ne doutons pas que les services de la mairie travaillent déjà aux modalités  de l’après confinement et tentent de répondre à plusieurs questions : quels sont les locaux disponibles pour l’accueil des enfants ? Comment faire des activités physiques sans contact avec les ETAPS ou les animateurs sportifs des clubs ? Comment jouer de la musique en respectant les gestes barrières ? Comment désinfecter les livres et le matériel utilisé par les enfants dans les différentes structures de la commune (bibliothèques, MJC, Association familiale…) ? Quels marquages au sol doivent être réalisés pour avoir des repères visuels, pour permettre la mise en place des sens de circulation ? …

Chaque métier de la petite enfance et de l’enfance doit se réinventer pour tenir compte des contraintes importantes de la crise sanitaire. Les enfants doivent comprendre et mettre en place les gestes barrières quel que soit leur âge. Pour cela, des routines, des jeux et des lectures doivent être imaginés ou sélectionnés. Pour ce faire du matériel doit sans doute être commandé.

Certains personnels communaux en fragilité ne pourront probablement pas reprendre leur poste. Toutefois, dans un contexte de forte mobilisation citoyenne, des bénévoles devront probablement être recrutés pour venir en renfort dans certaines structures, pour accueillir les familles, faire du soutien scolaire ou assurer la logistique.

Nous avons de la chance dans notre ville : les employés municipaux sont nombreux, créatifs, investis  et compétents. Certains travaillent déjà ardemment à la réouverture de leur structure. Nous ne doutons pas qu’ils sauront relever ce défi avec l’aide de toute la population de Saint Egrève.

Pour que ce projet soit cohérent, un pilotage fort des élus municipaux doit se mettre en place pour articuler et organiser ce déconfinement progressif. Laurent Amadieu, en lien avec le collectif « Ensemble pour demain », participe à la « cellule de veille COVID 19» à la mairie et va œuvrer énergiquement dans ce sens.